Toute crise sévère affectant nos sociétés semble aujourd’hui mériter un vocable guerrier: guerre économique, guerre contre le crime organisé ou le trafic de drogue, guerre contre le terrorisme international, guerre contre la pauvreté, guerre contre la pandémie Covid 19. Si le terme choc utilisé semble valide face à ces dangers majeurs, objectifs assignés, énergies mobilisées et moyens mis en œuvre ne sont pas toujours en proportion pour s’assurer de l’issue favorable souhaitée. De l’expérience de professionnels de la gestion de crise, que sont les militaires, nous pouvons tirer des enseignements sans pour autant nous livrer à une analogie complète entre gestion d’un conflit armé et de la crise économique (post-Covid).

Le séisme économique et financier causé par la pandémie complexifie une situation de crise mondiale déjà tendue : les répliques probables ne feront qu’aggraver le tableau et accroître la difficulté à maîtriser le destin de nos affaires. Quelles appropriations des logiques et pratiques de nos commandants seront les plus pertinentes et efficaces pour nos dirigeants d’entreprise ? Quelques exemples.

1. Des objectifs ultimes mis à jour et un mandat clairement défini. Il est primordial que les actionnaires réévaluent risques et opportunités pour (re)valider leurs objectifs long terme (vitaux) et qu’ils confèrent à leurs dirigeants des pouvoirs étendus. A noter que la prédictibilité des conditions de marché s’estompant, la stratégie définie doit donner lieu à des ajustements successifs : les décisions engageantes conciliant impératifs de l’urgence et cibles de moyen terme seront prises avec une plus grande marge d’incertitude, donc d’erreur. Sorti de ses zones de confort le dirigeant doit accepter de perdre (une bataille, mais corriger le tir au plus vite), contrôler son stress et garder son calme, développer un « sens du danger » et une véritable empathie autour de lui.

2. Une organisation concentrée sur le résultat. Les indicateurs clef de la performance attendue sont partagés avec l’ensemble des acteurs internes, en vue d’obtenir une mobilisation des sans grade jusqu’en haut de la hiérarchie: l’information et les instructions sont compréhensible par tous et une communication fluide permet des remontées rapides du terrain (les observateurs).

3. Des responsabilités accrues, aux contours bien précisés, à tous les niveaux. Il est toujours plus aisé de revoir les systèmes que de parfaire l’exécution, mais le diable est dans les détails, aussi la capacité nouvelle des non-décideurs à intervenir grâce à un niveau de confiance augmenté constitue un risque à cadrer. Une opportunité pour une dynamique de groupe vs la mainmise des élites.

4. Flexibilité et innovation pour garantir une agilité de mouvement dans des configurations inattendues. La synchronisation de l’ensemble de la chaîne de valeur et la sollicitation de toutes les compétences est requise, en particulier dans les organisations verticales généralement moins réactives. Atouts indispensables lorsqu’il s’agit de passer au Plan B en pleine action.

5. La recherche d’alliés (potentiellement tous les partenaires extérieurs) accroissant mieux que jamais le périmètre sécurisé du champ de bataille.

6. Une échelle du temps en mutation; il faut décider plus vite et aussi parfois savoir se montrer très patient avant d’agir.

7. Maîtriser la complexité, faire de l’innovation un levier d’efficacité, conduire diligemment des changements organisationnels .. les compétences multiples nécessaires à la gestion de crise ne sont pas disponibles dans toutes les boîtes à outils et font éventuellement défaut au dirigeant; alors, le recours à des conseils et expertises externes renforcera la résilience et la force de pénétration de l’entreprise.

Le commandement militaire et la conduite d’une organisation privée quelle que soit sa taille, ne sont pas fonctions interchangeables ; cependant, certains réflexes et pratiques typiques développés dans des contextes de péril extrême, sans filet pour se rattraper, peuvent contribuer au leadership « éclairé » du dirigeant d’entreprise.